Brendan BOMBACI : Bipolar Disorder

Bipolar Disorder: Biopsychosocial Etiology and Treatments, and Its Place On a Cognitive Spectrum
 
De cet article de Brendan BOMBACI, Bipolar Disorder, paru en 2015, je vais citer et commenter quelques passages que je juge utiles pour aller plus loin dans la compréhension du Trouble Bipolaire (TB). Les citations sont rapportées en anglais puis traduites par mes soins. Ma traduction privilégiant la clarté à la littéralité, je simplifie certaines phrases. 
 
Pour une lecture plus approfondie, vous pouvez également télécharger Bipolar Disorder gratuitement. Il vous suffit d'utiliser l'application Oxford dictionary of English pour obtenir la définition des mots qui vous échappent en les touchant. D'autres travaux de Brendan Bombaci sont également mis à disposition gratuitement, ce qui résonne avec une phrase du poème qui introduit son blog :
 
The grandest of things ever I have known
Have always been found and never been owned
 
Certains environnements culturels rendent-ils maniaque ?
 
In a meta-analysis of 17 different countries in various continents, it was found that the maniatrophic cultures, or “cultures that shape a reward-rich environment by placing a high value on the individual pursuit of reward and providing opportunities to do so,” were “correlated with higher prevalence rates of Bipolar I Disorder” (...) (Johnson and Johnson 2014:1114-5).  
 
Dans une méta-analyse portant sur 17 pays situés sur plusieurs continents, il a été découvert que les cultures maniatrophiques, ou « cultures qui produisent un environnement riche en gratifications en offrant des opportunités pour accéder à une réussite individuelle très valorisée » étaient « corrélées avec des taux élevés de Trouble Bipolaire de type 1 » (…) (Johnson and Johnson 2014 : 1114 -5). 
 
 
Bombaci cite l'étude de Johnson et Johnson, qui parle de cultures maniatrophiques. Celles-ci faciliteraient le développement de la manie. Une culture de ce type est gratifiante, au sens où de vos actes, des bénéfices importants peuvent découler, quand dans des cultures moins individualistes, votre destin dépend moins de vos actes que de votre sexe, de votre milieu familial d’origine…  
 
En lisant KR Jamison (par exemple An unquiet mind), bipolaire et professeur de psychiatrie, on perçoit aisément en quoi la culture américaine fait partie de ces cultures maniatrophiques. On y voit le travail acharné qui induit le stress et le manque de sommeil qui paraît quasiment naturel dans ce mode de fonctionnement sociétal basé sur l'ambition « personnelle », où le mot « carrière » semble incontournable. Jamison n'apparaît pas seulement comme quelqu'un qui est susceptible d'aller à 200 à l'heure, mais comme quelqu'un qui vit dans une société où, le « toujours plus » régnant, de temps en temps le cerveau semble s'emballer. On imagine aisément qu'une vie plus retirée, moins sujette au chalenge et à la course au pouvoir, pourrait au contraire éviter certains accès maniaques (bouts of mania) ou, plus exactement, ne pas y conduire. 
 
Doit-on aller jusqu'à penser que les sociétés où les gens sont conduits à être hyperactifs pour réaliser leurs ambitions personnelles génèrent la manie qui caractérise le Trouble Bipolaire ? En fait, il est possible d’avoir des accès maniaques sans aucunement être soumis à un rythme de vie effréné. Ce rythme n’est pas la cause du trouble bipolaire, mais un facteur précipitant. L’adjectif « maniatrophique » porte cette nuance : le suffixe trophic désigne en effet ce qui est relatif à la croissance et au développement d’un organisme, contrairement au suffixe gène, qui désigne ce qui génère. Une culture maniatrophique ne génère pas la manie (elle serait dans ce cas « maniagène ») ; elle favorise seulement son développement. 
 
L’entourage peut-il rendre bipolaire ?
 
 
If someone starts showing signs of Bipolar Disorder and is treated not with patience and carefulness, but with hyper-attentiveness and either fatalistic concern, judgmentalism, and/or fear, the patient may have a worse outcome in both the short and long runs. When a loved one behaves as such, with what has been called high expressed emotion (EE) – fairly typical in Western countries or developing nations – showing “dramatic expressions of self-sacrifice, extreme devotion, overprotectiveness, or intrusiveness in the patient’s life” (Watters 2010 : 152), they embody the hallmarks of what have been generally seen as a psychotic patient’s inner demons: “demanding, critical, or disparaging voices” (Watters 2010:153).  This risks the precipitation or exacerbation of psychotic episodes via measurably increasing the neurophysiological stress levels of the patient.
 
Si quelqu’un commence à manifester des signes de Trouble Bipolaire et est traité non avec patience et attention, mais avec hyper-attention, fatalisme, jugement, peur, cela peut avoir des conséquences négatives sur lui, à court et à long terme. Quand un être aimé se comporte avec le patient de cette manière très expressive (high expressed emotion (EE)) - et assez typique des pays occidentaux ou en développement – qui consiste à « présenter d’une manière dramatisée l’auto-sacrifice, l’hyper-dévouement, une attitude surprotectrice ou intrusive », (Watters 2010 : 152) cela donne corps aux démons imaginaires qui persécutent fréquemment les psychotiques sous la forme de « voix exigeantes, critiques ou dépréciatives » (Watters 2010 : 153). Cela risque de précipiter ou d’exacerber les épisodes psychotiques en augmentant significativement le niveau de stress physiologique.
 
 
Une expérience personnelle de la bipolarité...
 

Ce qui m’intéresse dans cet article de Bombaci, c’est qu’en assez peu de pages il cite plusieurs points très intéressants à connaître à propos du Trouble Bipolaire. Et peut-être pour cause, il évoque une expérience personnelle de la bipolarité ("personal experience with Bipolar disorder"), dont je pense qu’elle l’induit à cibler ce qui est directement utile à sa compréhension et sa prise en charge. 

 
L'approche biopsychosociale
 
Sa recherche est centrée sur l’approche dite « biopsychosociale » du Trouble Bipolaire dont cet article constitue finalement une définition. On y retrouve aussi bien les aspects positifs que les aspects négatifs de cette approche qui isole et met en série les caractéristiques du TB qu’elle décrit. 
 
Points positifs
 
Très éloignée du flou psychanalytique qui favorise parfois le délire interprétatif sans qu’on sache si c’est celui du patient ou celui de l’analyste, l’approche biopsychosociale permet aux patients, aux aidants et aux soignants, de mieux se repérer quand ils font face à la bipolarité. On peut également remarquer que cette approche favorise le développement des connaissances plutôt que le maintien des dogmes : dans la décennie précédente, les familles ont été mises à contribution pour s’adapter à l’état du bipolaire. Mais cela présentait des inconvénients au fond manifestes : cette surveillance familiale ne peut être bien vécue dans tous les cas puisqu’elle vise des bipolaires qui tendent à se sentir persécutés et risquent d’autant plus de l’être que les relations familiales sont souvent lourdes d’enjeux affectifs risquant d’aggraver le phénomène (autant que la promiscuité). Le résumé que fait Bombaci du livre de Watters qui met au jour ce risque le spécifie très bien, en donnant la série « auto-sacrifice, hyper-dévouement, surprotection -intrusion » de l’entourage, et en la renvoyant au ressenti du bipolaire qui n’entendra éventuellement dans cette sollicitude (d’ailleurs éventuellement feinte) que l'amplification de ses pires angoisses.
 
Points négatifs
 
Tous les ouvrages qui relèvent de l’approche biopsychosociale insistent lourdement sur la nécessité dans laquelle le bipolaire se trouve de prendre ses médicaments, notamment en raison du risque suicidaire en cas d’arrêt. 
 
Cette répétition est insupportable. 
 
Comme tout cauchemar qui se répète, ce spectre brandi du bipolaire suicidé témoigne du défaut d’élaboration de la question. 
 
Je pense que tout le monde conçoit désormais l’intérêt, voire le caractère primordial du traitement médicamenteux du Trouble Bipolaire. Rares sont les psys qui prendraient, sans être totalement inconscients, le risque de se rendre complice d’un arrêt de traitement médical qui peut avoir d’aussi lourdes conséquences. Mais ce consensus généralisé n’annule pas le problème éthique que cela pose, de bourrer à ce point le mou des bipolaires pour qu’ils prennent leurs pilules et contre-pilules (car les effets secondaires des anti-psychotiques, anticonvulsivants etc. sont tels que certains bipolaires prennent parfois une quantité astronomique de médicaments supplémentaires pour les contrecarrer…).
 
En fait, les bipolaires se suicident moins quand ils prennent leurs médicaments, mais souvent, ils ne les prennent pas. Ils vont mieux quand on leur dit ce qu’ils doivent faire et qu’on leur met des limites par rapport à ce qu’ils ne doivent pas faire, mais souvent, ils n’écoutent pas, et la limite, ils marchent dessus sans la voir… 
 
Il y a donc, dans les tentatives de psychoéducation de l’approche biopsychosociale quelque chose d’extraordinairement idéaliste et naïf : « Ah ! Si on pouvait les raisonner ! ». 
 
Mais on ne peut pas toujours.
 
Alors ?
 
Alors il y a à les écouter, les suivre, participer. Les supporter et parfois les aimer. Les orienter s’ils le veulent bien, vers ce qu’ils veulent quand ils ne se souviennent plus de ce que c'est.    
 
                                                                     Elen Le Mée